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Le marquis était de grande taille, avec de gros membres et des emmanchements un peu canailles, me semblait-il. Il y avait du paysan en sa forte et robuste carrure. Mais ses gestes dévoilaient de la grâce et même une sorte de souplesse, une sorte de caresse félines ; on sentait que le sport, l’entraînement aux exercices du corps avaient corrigé, par de l’aisance musculaire, par de l’élégance élastique, ce qu’il y avait d’originellement épais en lui. Parmi des traits parfois empâtés et des modelés souvent massifs, son front large, plein, bien construit sous des cheveux bien plantés, son nez légèrement busqué, aux arêtes fines, indiquaient ce que les romanciers appellent de la race. Ses yeux pétillaient d’intelligence, ou plutôt de ruse malicieuse, dans une gaîté franche et hardie. Une moustache drue, très noire, sur une face d’un rouge bronzé, rejoignait des favoris coupés à l’autrichienne, et lui valait à la fois l’aspect d’un sabreur et d’un boursier. Sa puissante mâchoire, sa denture intacte, très blanche, carnassière, dans une bouche trop fendue aux lèvres trop épaisses, trop sensuelles, et, malgré tout, ricanantes, son menton charnu presque carré, exprimaient des passions violentes, des appétits cruels, de la volonté dure, et surtout le culte de la chasse et l’amour de la proie. Tout, en sa personne physique, attestait une santé exceptionnellement vigoureuse, un estomac intré-