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d’agressif et d’humiliant !… Je la sentis, au contraire, joviale et bon enfant… En tout cas, quoi qu’elle fût, je la préférais mille fois aux gravités mornes et glacées, aux politesses dédaigneuses, par quoi j’avais été, dans les mêmes conditions, accueilli de mes autres patrons… D’ailleurs il reprit, avec une bonhomie dont je n’essayai pas de démêler ce qu’elle pouvait contenir d’ironie et de cordialité :

— J’ai les meilleurs renseignements sur vous… Il paraît que vous êtes une perle…

Et comme je manifestais une réserve modeste et embarrassée, le marquis accentua :

— Si… si… une perle… on me l’a dit… on m’a dit aussi que vous savez des tas de choses… et que vous avez une plume vive… alerte… mordante… C’est parfait… J’aurai besoin de tout cela, bientôt… mon cher…

Il m’appelait déjà « mon cher », comme le cultivateur… Je répondis :

— Je ferai de mon mieux… et j’espère vous contenter en tout.

— Alors tout va bien !… Ah ! dites-moi… Êtes-vous gai ?

— Mais oui… je crois…

— Tant mieux ! Je ne puis supporter autour de moi, les figures tristes… les gens tristes… les cœurs tristes… J’aime la joie… Avez-vous déjeuné ?

— Oui, monsieur…