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c’était, en ce matin de mars, tout brillant des ondées de la nuit, une fraîcheur, une limpidité, entre les troncs énormes de l’avenue qui reculaient et variaient à l’infini, en les encadrant, les perspectives, et donnaient à cet élevage pratique et raisonné, de joyeux, de délicieux aspects de féerie décorative…

Berget ne disait pas un mot, sinon, de temps en temps, des injures à son cheval, lequel, souvent, bronchait devant des brindilles d’arbres tombées sur la route… Je n’éprouvais pas non plus le moindre désir de prononcer une parole. Je jouissais silencieusement de tout ce qui passait devant moi, et, surtout, j’avais hâte d’arriver. Pourtant, voyant planer dans l’air un immense oiseau, j’eus la curiosité de savoir ce que c’était.

— C’est une frée… répondit Berget d’un ton bourru.

— Quoi ?… vous voulez dire une effraie ?

— Non… une frée.

— Qu’est-ce que c’est qu’une frée ?

— Une frée… quoi !

Son haleine empestait… Il n’y avait rien à tirer de cette brute… Je n’insistai plus. D’ailleurs nous débouchions de l’avenue, et, un peu sur notre droite, par delà des pelouses vallonnées, entre des bouquets d’arbres, le château se dressait, devant nous, en plein ciel… Nous le contournâmes.