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nante de phantasmes que leur donnent la nuit et ses fièvres… Et ce fut avec une sorte de joie délivrée que j’allumai une cigarette, et que je vis la voiture s’engager dans l’avenue du château.

L’hôtelière n’en avait pas outré, bien au contraire, le caractère seigneurial : vraiment, l’impression en demeurait exceptionnelle. Jamais je n’avais vu, même dans les domaines royaux, quelque chose qui me donnât autant l’idée de la magnificence imaginative de l’homme d’accord avec la nature. À droite et à gauche de l’immense, de la profonde voûte ajourée, s’étendaient de vastes prairies admirablement entretenues, encadrées, chacune, par un haut rideau de peupliers d’Italie, séparées l’une de l’autre et d’un seul côté par des barrières blanches au moyen de quoi elles pouvaient communiquer entre elles… Dans les unes paissaient de grands bœufs charolais à la robe luisante ; les autres étaient réservées à l’élève du cheval. Rien n’y manquait ; les écuries, étables et abris, élégantes constructions, avec leurs toits hauts débordant les murs de brique rose ; les abreuvoirs où l’eau se renouvelait sans cesse par les dérivations d’un petit ruisseau ; et çà et là les jolies oasis, les bouquets de bois destinés à donner de l’ombre aux bestiaux dans les grandes chaleurs de l’été. Une sensation de richesse bien ordonnée, un confort de culture anglaise s’y révélait partout… Et