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corps, et de bonne santé… Souvent, les soirs d’été, mon père l’invitait à venir s’asseoir près de lui, dans le jardin, sur le banc… Mon père fumait sa pipe, le vieux reniflait de temps à autre, une prise… et, jusqu’à la nuit, l’un près de l’autre les coudes aux genoux, pareillement penchés et le regard sur le sable de l’allée, ils ne disaient jamais rien…

Une fois, interrogé par mon père sur l’utilité éducatrice du tambour, le vieux soldat répondit en branlant la tête :

— Oui… oui… c’est une bonne chose. Ça va… ça va bien !

À partir de ce moment, tous les matins, à dix heures régulièrement, le tambour de Sébastopol venait chez nous et, jusqu’à l’heure du déjeuner, il m’initiait aux secrets de son art… Parfois, durant les repos, il cherchait à raconter une histoire. Il commençait :

— Pour lors, les Russes…

Puis ne se rappelant plus ce qu’il voulait dire, il se taisait… et se remettait à battre le rappel… Gravement, mon père — ah ! je revois sa figure sérieuse — assistait à ces leçons… Çà et là, d’une voix mécontente, il critiquait :

— C’est mou… c’est trop mou… plus de nerfs, sapristi… recherche mieux les roulements, petit… Et tes baguettes, voyons !… Tu ne sais même pas tenir tes baguettes !

Et tout… et tout… et tout !…