Page:Octave Mirbeau Un gentilhomme 1920.djvu/66

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tion… Il était de cette école, suivie par la majorité des parents français, qui veut que les enfants ne soient, ne sentent, ne comprennent, ne sachent, ne demandent jamais rien… non… non… qu’ils se taisent… pour Dieu ! qu’ils se taisent !… Un jour, cependant, qu’il songeait par hasard à l’ornement de mon éducation en même temps qu’à me bien armer contre les difficultés et pour les luttes de la vie, mon père décida que je prendrais des leçons de tambour.

— Cela te distraira… me dit-il… Et puis… on ne sait pas… cela peut être utile !…

Je fus enchanté !… Tout ce qui m’arrachait à ma torpeur, à mon éternel silence, je l’accueillais avec empressement, comme une fête…

— Oui… oui… petit père… répondis-je… je veux bien prendre des leçons de tambour.

Nous avions pour voisin un vieux tambour de régiment qui avait été, paraît-il, un héros à Sébastopol. Afin de le récompenser de ses services, outre la médaille militaire, le gouvernement lui avait octroyé une charge de receveur-buraliste que le bonhomme faisait gérer par sa fille, car ainsi que beaucoup de héros guerriers, il ne savait ni lire, ni écrire. Mon père — grand patriote naturellement — marquait à ce vieux soldat une considération toute spéciale. C’était, d’ailleurs, un brave homme dont la vieillesse avait singulièrement affaibli les facultés mentales, mais il restait robuste de