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ment cessé… ma bougie s’éteignit brusquement. J’essayai de dormir… mes images et souvenirs continuaient de me harceler. Ils surgissaient en foule, comme des rats, du fond trouble de mon enfance, traversaient en galopades effrénées ma vie, pour aller se perdre dans le futur, dans les effrayantes ténèbres du futur. Je ne pouvais plus les chasser…

Je m’arrêtai un peu plus longtemps aux pauvres figures disparues de mon père, de ma mère, à leur existence si morne, si lourdement morne, mal défendue, il est vrai, par l’insuffisant argent d’une humble place de fonctionnaire… au petit jardin, si triste, si triste, devant la maison si banale… à l’absence complète d’exemples, de chaleur cordiale, de confiance familiale qu’avait été toute mon adolescence. Je n’en voulais pas à mes parents du peu, du rien qu’ils avaient été pour moi… Et c’est avec une pitié profonde… infiniment plus douloureuse que la haine, parce qu’elle comportait un jugement terrible contre eux, que je me souvenais de certaines particularités plus ridicules encore que les autres. Avant qu’il eût obtenu pour moi une bourse au collège, mon père, par ennui, par lassitude, par ignorance surtout, me laissait constamment livré à moi-même… me laissait tout seul, tout petit, tout tremblant devant moi-même. Jamais un conseil… une leçon de choses, une effusion, une explica-