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des genoux crapuleusement avachis, percés, comme une passoire, et dont il ne restait plus de l’étoffe que la trame jaunie et luisante. J’étais obligé de fixer la ceinture avec des épingles par-dessus mon gilet, pour qu’il ne me lâchât pas complètement… À cause de ce pantalon, j’étais devenu un objet d’horreur ou d’amusement, selon leur humeur du moment, de la part de mes camarades. Pas de quolibets désobligeants, humiliants, injurieux même, dont je ne fusse criblé journellement… Rien ne pourrait donner une idée de mes souffrances… Aujourd’hui encore, à ce souvenir, j’éprouve un petit frisson, et j’attribue en partie ma timidité aux avanies sans nombre que me valut à mon début dans la vie ce vieux pantalon de mon père… La meilleure farce, celle qui réussissait le mieux, était la suivante… On déléguait vers moi l’élève le plus fort, le plus batailleur de la cour et, avec une insultante politesse, sa casquette à la main, tandis qu’un groupe compact de mes camarades se rangeait à quelques pas derrière lui, il me disait :

— Vous avez, monsieur, la plus belle culotte du monde. Et je suis chargé, par quelques-uns qui l’admirent particulièrement, de vous demander le nom et l’adresse de votre culottier… Ce doit être un grand artiste !

Un immense éclat de rire, féroce et meurtrier, suivait immédiatement ces paroles.