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une grande variété d’hommes, une collection complète, et comme il ne m’avait pas été donné d’en consulter jusqu’ici, de tout ce qui constitue notre admirable élite sociale… Là, du moins, je pourrais me livrer à ma manie, et enrichir certainement, de gens et d’espèces encore inconnus de moi, les feuilles de mon herbier humain. À défaut d’autres avantages plus directs, plus matériels, cela valait bien tout de même quelque chose.

Quand je suis triste et découragé, j’appelle à moi le souvenir des quelques mois que je vécus chez les Ramard-Holstein. C’étaient les pires bourgeois, stupidement, invraisemblablement riches. Le père, la mère, les deux filles voulaient toujours paraître en avance sur tout. En politique, en art, en morale, ils avaient l’opinion révolutionnaire au delà de la plus violente. Je revois leurs dîners de gala, le faste lourd de leur table, les argenteries précieuses, les fleurs, et au milieu de tout cet encombrement de richesses étalées, parmi l’odeur des truffes, des fruits, des vins, des poitrines nues sur qui pesait le luxe de cent mille francs de perles et de diamants, je revois Mme Ramard-Holstein crier : « J’aime le peuple ! » Et elle appelait sur la bourgeoisie corrompue et repue les bombes vengeresses, les bonnes bombes de l’anarchie !… Ah ! c’était beau à voir !

Il ne faut jamais montrer, surtout aux riches,