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vices ingénus, de sentimentalités féroces et de cruautés naïves qu’il est réellement. Si la chance m’avait orienté vers la littérature, je crois que j’eusse pu exprimer quelque chose de l’homme tel que je le sens, tel qu’il m’a tenu perpétuellement en joie, en mauvaise joie, dans tous les milieux où je l’ai coudoyé. Car, pour ce qui est d’exprimer intégralement un être si multiple, de rendre en sa bousculade rapide et confuse un tel tumulte de sentiments si aheurtés, d’actions si désharmoniques, tout ce qui se trouve, à la même minute, en bouillonnement chez le même individu, qui donc oserait sérieusement y prétendre ? Les romanciers — les romanciers latins surtout, — me font rire, avec leur conception réaliste et si pauvrement monotone d’une humanité toujours la même, qui agit selon les règles d’une morale préétablie, d’une psychologie fixe, d’un comique classique, dont on se transmet les grimaces, d’un livre à l’autre, à travers les siècles, ainsi qu’un indérangeable héritage. Comme si le visage humain était simple et un, et qu’on apprenne à le déchiffrer, dans les philosophies toutes arbitraires, et dans les littératures toutes mortes et glacées !…

En somme, il devait m’être plutôt agréable — en dehors même de l’arrêt plus ou moins long, plus ou moins calmant, que cela ferait dans mon existence de misère, — d’aller chez ce marquis d’Amblezy-Sérac, où je rencontrerais