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opinions les plus différentes… Tour à tour, je suis resté auprès d’un républicain athée, d’un bonapartiste militant qui ne rêvait que de coups d’État, d’un catholique ultramontain, et je me suis adapté aux pires de leurs idées, de leurs passions, de leurs haines, sans qu’elles aient eu la moindre prise sur moi. Affaire d’entraînement, je suppose, et, surtout, affaire d’exemple. Garder une opinion à moi — je parle d’une opinion politique, — la défendre ou combattre celle des autres, par conviction, par honnêteté j’entends — ne m’intéresse pas le moins du monde. Je puis avoir toutes les opinions ensemble et successivement, et ne pas en avoir du tout, je n’attache à cela aucune importance. Au fond, elles se ressemblent toutes ; elles ont un lieu commun, et je pourrais dire un même visage : l’égoïsme, qui les rend désespérément pareilles, même celles qui se prétendent les plus contraires les unes aux autres… Pourquoi voulez-vous donc qu’elles me passionnent ? Je suis entré dans la vie, du moins je le crois, avec des instincts honnêtes et des scrupules minutieux, la fréquentation des hommes, dits cultivés et haut placés, les a vite abolis en moi. Quand j’ai eu compris que mon intelligence, ma fidélité, mes efforts de travail et mon dévouement ne comptaient pour rien dans l’esprit de ceux qui en profitaient ; quand j’ai su qu’on les acceptait, non comme un don volontaire et délicat, mais