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qui ne pouvaient rien pour mon avenir et qui s’en moquaient, d’ailleurs, complètement… Aujourd’hui, pour la première fois, j’entrais chez un personnage considérable, fastueux, riche, répandu dans les milieux sociaux les plus élégants, allié à toutes les grandes familles et, par sa femme, à toutes les grandes banques de l’Europe. Peut-être pourrais-je enfin me créer là des relations utiles et diverses, et, comme il faut toujours laisser au rêve sa part — tant persiste en nous l’habitude romantique de notre éducation,  — peut-être pourrais-je compter enfin, sur des aventures fabuleuses qui ne m’étaient jamais arrivées, mais qui arrivent aux autres — du moins ils le disent. Le plus sage, toutefois, était de ne compter sur rien… et de ne prendre cette place — ainsi que j’avais fait des précédentes — que comme un refuge momentané, un abri provisoire contre les ordinaires et fatales malchances de mon destin.

J’ai une qualité : celle de me connaître à fond, et je puis me résumer en ces deux mots : je suis médiocre et souple. En plus, je ne possède qu’une demi-culture, mais pour ceux qui n’en possèdent aucune — comme ce fut le cas de mes historiens, académiciens, statisticiens, et cætera… — je sais en tirer un parti assez ingénieux. Tout cela me permet de servir, sans trop de souffrance, sans trop de dégoût, et en quelque sorte mécaniquement, les hommes ; par conséquent les