Page:Octave Mirbeau Un gentilhomme 1920.djvu/41

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’impression d’une descente dans un gouffre noir trop étroit dont les parois raboteuses me serraient les côtes horriblement… Et une idée — une seule — s’obstinait en moi : ne pas rentrer à mon hôtel. Ah ! non… Plutôt crever là comme un chien… mais ne pas rentrer, ne pas rentrer !…

Dans la rue d’Amsterdam, au coin de la gare Saint-Lazare, je voulus reprendre haleine… Je n’en pouvais plus… Tout tournait, dansait autour de moi, tout se déformait en images de folie. Je ne savais plus si l’affreux grondement qui m’emplissait les oreilles et faisait vibrer mon cerveau, comme une boule sonore, venait de mes propres souffrances ou des bruits de la rue, si les mille et mille lumières qui m’aveuglaient étaient une projection de mes yeux, ou les feux réels de la ville multipliés par leurs reflets sur les glaces des boutiques, sur les surfaces luisantes et mouvantes du trottoir et de la chaussée… Je m’accotai contre la grille de la cour du Havre, me tenant, des deux mains, aux barreaux… L’horloge de la gare marquait alors onze heures…

J’étais là depuis cinq minutes quand une femme qui montait le trottoir, lentement, l’œil aux aguets, passa devant moi en ralentissant encore sa marche, me regarda et, m’ayant dépassé, se détourna pour me regarder encore. Après une vingtaine de pas coupés d’arrêts,