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messieurs débauchés et si respectables !… Mais, le moment venu, j’eus un tel dégoût, je sentis une telle impossibilité physique à remplir mes engagements, que je me sauvai de cette maison en criant comme un fou…

Ah ! j’en ai traversé de terribles drames, et je me demande, quand j’y repense, par quel prodige de résistance j’en suis sorti vivant !… J’aurais mille et mille histoires, toutes effarantes, à raconter… Je n’en ai pas le courage… Une seule, d’ailleurs, suffira à donner l’idée de ce que fut, parfois, ma vie, et jusque dans quel enfer un homme de notre temps, doué d’une intelligence assez vive, d’une énergie moyenne, d’une culture suffisante, d’une moralité à peu près nulle, peut tout à coup tomber !

Un soir, un soir de triste novembre, étant sans place, n’ayant rien mangé depuis deux jours, je rôdais dans les rues de Paris… sans but… non, en vérité, sans but, et même sans espoir d’une rencontre, d’un hasard, de n’importe quoi… Ivre de besoin, je chancelais, comme un pochard, sur mes jambes… Je ne pensais à rien… vraiment à rien, et, pourtant, inconsciemment, sans la moindre volonté, sans la moindre possibilité de réagir, il me semblait qu’une force me poussait vers quelque chose d’irréparable : folie, crime ou suicide. En passant sur le trottoir, la glace d’un restaurant me renvoya mon image, si décomposée, si funèbre-