Page:Octave Mirbeau Un gentilhomme 1920.djvu/37

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sont l’opposé de vos incohérences à vous, de vos fantaisies, de vos passions, de vos vertus ou de vos crimes, lesquels constituent, pourtant, la raison unique, l’originalité, l’harmonie de votre être moral ; ne jamais agir pour soi, en vue de soi, mais pour les affaires, les ambitions, le goût, la vanité stupide ou l’orgueil cruel d’un autre ; être, en toutes circonstances, le reflet servile, l’ombre d’un autre… Moyennant quoi, vous êtes admis à vous asseoir, silencieux et tout petit, les épaules bien effacées, à un bout de sa table, grignoter un peu de son luxe, vous tenir, constamment, vis-à-vis de lui, de ses invités, de ses chevaux, de ses chiens, de ses faisans, dans un état de déférence subalterne, et recevoir mensuellement avec reconnaissance, — car vous n’êtes pas un ingrat — un très maigre argent qui suffit, à peine, à l’entretien de vos habits. Un peu — si peu !  — au-dessus des valets d’antichambre qui vous méprisent en vous enviant ; beaucoup au-dessous des amis, des invités les plus indifférents qui vous écartent, avec une ostentation humiliante, de leur intimité, vous restez perpétuellement en marge de la vie des uns et des autres… Heureux si, parfois, une petite femme de chambre consent à vous donner un peu de rêve, à orner votre solitude d’un peu de joie sentimentale… Mais la plupart, elles se méfient. En général, même les plus désintéressées, elles préfèrent le maître, même laid, maniaque ou