Page:Octave Mirbeau Un gentilhomme 1920.djvu/36

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encore par le désir vulgaire de se frotter à des gens qui lui sont mondainement supérieurs, mais, le plus souvent, intellectuellement inférieurs, doive abdiquer le plus de sa personnalité et de sa conscience… Vous n’êtes pas le serviteur du corps de quelqu’un, du moins pas toujours, bien que de l’âme au corps de ces gens-là la distance ne soit pas longue à franchir… Vous êtes le serviteur de son âme, l’esclave de son esprit, souvent plus sale et plus répugnant à servir que son corps, ce qui vous oblige à vous faire le cœur solide, à le bien armer contre tous les dégoûts… Le valet qui a lavé les pieds de son maître, qui le frictionne dans le bain, qui lui passe sa chemise, boutonne ses bottines et passe ses habits, peut encore garder, la besogne finie, une parcelle de son individualité, extérioriser un peu de son existence, s’il possède une certaine force morale et la haine raisonnée de son abjection ! Un secrétaire ne le peut pas… La première condition, la condition indispensable pour remplir, à souhait, une si étrange fonction, implique nécessairement l’abandon total de soi-même dans les choses les plus essentielles de la vie intérieure. Vous n’avez plus le droit de penser pour votre compte, il faut penser pour le compte d’un autre, soigner ses erreurs, entretenir ses manies, cultiver ses tares au détriment des vôtres, pourtant si chères ; vivre ses incohérences, ses fantaisies, ses passions, ses vertus ou ses crimes qui, presque toujours,