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Non, je n’allais pas au château de Sonneville comme valet de chambre, j’y allais comme quelque chose de pire, peut-être, comme « secrétaire intime et particulier » du marquis d’Amblezy-Sérac. Vraiment, il n’y avait pas là de quoi me vanter, et de si fort mépriser ces deux palefreniers dont la condition n’était pas sensiblement inférieure à la mienne et qui avaient du moins cet avantage sur moi d’exercer un métier précis, et plus libre. N’avais-je pas agi, contrairement à toute logique, et poussé par un mouvement de pauvre orgueil, en foudroyant, d’un regard hautain, la brave Mme Berget qui, dans la simplicité, dans la clairvoyance de son âme, soupçonnait, fort judicieusement, à mes manières malséantes, à ma façon de parler, que je pusse être un domestique ! Il y a vraiment des moments dans ma vie où je ne puis m’empêcher — bien que j’en sente le parfait ridicule — de me montrer un sot orgueilleux et enfantin !…

Un domestique ?… Et pourquoi pas ? Par quelle casuistique le « secrétaire intime et particulier » d’un monsieur ne serait-il pas domestique ?

Un secrétaire ne porte point de livrée apparente, et il n’est pas, à proprement dire, un domestique. Soit ! Pourtant c’est, je crois bien, ce qui, dans l’ordre de la domesticité, existe de plus réellement dégradant, de plus vil… Je ne connais point — si humiliant soit-il — un métier où l’homme qui l’accepte par nécessité de vivre, ou