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Et après un court silence, elle résuma :

— Pour sûr qu’elle fait bien du bien !

Poussé par un sentiment assez bas, où s’accusait l’aigreur de mes rancunes sociales, je demandai à l’aubergiste, avec un léger sifflement dans la voix :

— Tout cela est très joli… mais… dites donc, ma bonne madame Berget… est-ce que la marquise n’est pas juive ?

Je le savais mieux que cette brute de paysanne que la marquise était d’origine juive. Pourtant ma question n’était pas oiseuse, et elle avait un sens précis. Après une telle énumération de ferveurs catholiques, il m’était agréable que cela fût constaté. Oui, à l’entendre dire, même dans cette salle déserte, même par cette créature indifférente, aussi indifférente que l’opinion qu’elle pouvait exprimer, je voulais prendre un plaisir dont le comique amer et savoureux me réjouissait intensément.

— Ça se peut bien… fit-elle vaguement… On le dit…

— Et Allemande ?… Est-ce qu’elle n’est pas Allemande aussi ?

— Qu’est-ce que vous voulez ?… Moi, n’est-ce pas ?…

— Et vous avez raison, m’écriai-je, en frappant sur la table… que vous importe, après tout, qu’elle soit juive ou non ? Allemande ou Espagnole ? Au diable !… L’argent est l’argent, hein ?