Page:Octave Mirbeau Un gentilhomme 1920.djvu/235

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charmant, avec quelle impatience d’une volupté prochaine et non encore ressentie, je disposai tout, meubles, tentures, et fleurs, pour la joie de mon amie, et pour la parure de notre amour… J’engageai deux femmes de chambre, anglaises et jolies, qui ne savaient pas un mot de français, car je voulais que nous fussions seuls, seuls ! — Ah ! si étroitement, si exquisement si intellectuellement seuls, et qu’aucun être, dans le monde, ne pût comprendre les mots divins que nous allions, désormais, nous répéter, dont nous allons enivrer désormais nos yeux, nos bouches, nos chevelures, nos poitrines, toutes nos sensations, et tout notre esprit, Clotilde et moi !…

Clotilde et moi !…

Ivresse !… caresses !… folie merveilleuse des cœurs libres !… Essor des amants… Infini, infini des adultères désentravés !

Clotilde et moi !…

Et je regardais tout, en me répétant ces deux mots, je regardais les chaises qui ressemblent à des pintades, les canapés, tels des bancs de jardin, et le lit de cuivre, large comme une mer, et les pavots sur les murs, et les étoffes dont les ornements sont des fleurs si étrangement simplifiées qu’on dirait des larves malades ou des intestins déroulés…

Clotilde et moi !…

Elle arriva un soir, en retard de quinze jours… Elle arriva avec trente-trois grosses malles, et