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tant de la perspicacité, et je vois bien des choses que je n’ai pas l’air d’avoir vues. Non, non, je ne suis pas si bête qu’on le croit. Deux mois après mon mariage, je savais très bien que j’étais cocu…

— Deux mois après ? clamai-je avec horreur… Et vous ne vous êtes pas révolté ?…

— Ma femme avait pris sur moi un empire considérable, continua Justin Durand… Je tremblais devant elle comme un petit enfant… C’était une femme violente et qui eût été capable de me battre… Je ne puis supporter les scènes… je ne dis rien… Voici comment les choses se passaient… J’avais trois élèves à la pharmacie, deux blonds et un brun, jolis garçons, ma foi, et solides gaillards… Dame ! pour l’amour, ils étaient mieux bâtis que moi… Ma femme, sous un prétexte quelconque, — je dis quelconque, car vraiment ces prétextes étaient à peine dissimulés, — les faisait monter dans sa chambre à tour de rôle, et dans l’ordre suivant : les deux blonds d’abord, le brun ensuite… Lorsqu’ils entraient, ils la trouvaient au milieu de la chambre, debout et toute nue, et elle leur disait — elle leur a dit cela, chaque jour, pendant plus de quinze ans :

« — Monsieur Charles (ou monsieur Henri, ou monsieur Frédéric), soyez donc assez aimable pour me remettre ma chemise… Je ne sais où est ma femme de chambre ! j’ai beau la sonner, elle ne vient pas. » Et ils lui remettaient sa che-