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dans cette nature, parmi ces rocs, ces odeurs violentes, sauvages… ce serait le rêve… le rêve entends-tu ?… un rêve épatant !

Et comme je riais de le voir s’exalter ainsi :

— Ah ! tu me fais pitié, me dit-il… D’abord toi, tu n’as jamais rien compris à l’harmonie !…

Nous sortîmes du bois et redescendîmes vers la côte par l’Ouest.

Les pentes en étaient rases, glissantes, et les cailloux roulaient sous nos pieds. Des tussilages, des pavots menus, de chétifs erzugiums, toute une flore naine et malade poussait çà et là, au-dessus des herbes abrouties, et des ronces traînaient sur le sol leurs tiges rampantes et desséchées, comme des orvets morts. Plus nous nous rapprochions de la plaine, plus la terre semblait monter dans le ciel et l’envahir, et le ciel, au-dessus de nos têtes, reculait sa voûte diminuée.

Mon ami devenait de plus en plus rêveur. À peine s’il répondait aux questions que je lui adressais. Il disait, négligemment :

— Ah ! oui ! ce qu’on voit… ce qu’on rencontre !… Non, vrai ! la nature est épatante !

Le crépuscule tombait lorsque nous rentrâmes au village, où nous devions passer la nuit.

À l’auberge, pendant le dîner, X…, nerveux, interrogea la patronne sur l’étrange apparition du bois.

— Ah ! vous avez vu la belle Catherine ? s’écria-t-elle.