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traiter en camarade… Et puis Berget est son adjoint… Quand M. le marquis est à Paris, c’est lui qui s’occupe des affaires de la mairie… Il n’y a donc rien d’étonnant à ça… Mais il tutoie tout le monde, et il appelle tout le monde : « Mon cher ! » Surtout le cultivateur… Ah ! il aime le cultivateur… et le cultivateur l’aime… Dieu sait !… C’est son homme, au cultivateur, quoi !… Aussi, à la prochaine élection de député… ça, c’est réglé !…

— Et la marquise ? demandai-je pour rajeunir la conversation qui menaçait, en s’éternisant sur le marquis, de dégénérer en potins ridicules et interminables…

Elle hésita, un moment, à répondre, et je remarquai qu’elle n’avait plus le même visage, et la même voix, en parlant de la marquise, un visage devenu grave et renfrogné, une voix où je sentis des réticences, et, peut-être même, de l’hostilité.

— Madame la marquise n’est point ici… dit-elle brièvement… elle est encore à Paris.

— Oui… oui… je sais… Mais comment est-elle ?

— Comment qu’elle est ?… Mon Dieu… une grande femme… une grande belle femme… avec une figure sévère… Elle ne parle pas souvent au monde… Ça, non !… Pas par fierté, je suppose… C’est une femme qui n’a point l’idée de parler… Voilà tout…