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Elle était coiffée d’un haut bonnet d’astrakan, comme un Tcherkesse, et son visage rude, aux yeux impérieux, son regard fixe, ses bajoues tombantes, une ombre de moustache aux lèvres, tout cela avait un caractère d’une sévérité et — qu’on me permette ce mot — d’une beauté farouche. On eût dit une figure d’Albert Dürer…

Une tunique de drap noir, boutonnée jusqu’au col, serrait sa poitrine large et renflée, moulait sa taille carrée, ses hanches rebondies, descendait sans un pli sur les cuisses, au-dessus du genou, accusait une charpente puissante, d’abondantes chairs qui, à la taille seulement, faisaient des bourrelets, des plis gros et pleins, sous l’étoffe tendue. Une culotte de velours noir bouffait et flottait sur de hautes guêtres de cuir fauve, chaussant ses mollets nerveux.

Des parfums de menthe, une âcre odeur de sauge semblaient s’exhaler d’elle.

Dans le fond de la gorge, un chien, invisible sous les feuilles, chassait, donnait de la voix, une voix grêle et rageuse, une petite voix qui montait vers nous comme une injure.

La femme — car c’était une femme, une vieille femme de soixante ans — nous examina d’un air hostile sans que ses yeux remuassent, sans que rien en elle remuât, pas plus les chiffes de ses paupières que les pans de sa tunique, ni les mèches de crin grisâtre qui s’échappaient de son bonnet d’astrakan. Puis elle siffla son chien,