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les mois de ce nourriciat prolongé. Elle ajoutait même, souvent, aux envois mensuels d’argent, de jolis cadeaux et de belles friandises, des petites robes mauves, roses, bleues, rouges, jaunes, des tabliers de dentelles, des chapeaux à fleurs, des mignonnes chemises brodées, des rubans multicolores et d’amusants polichinelles, tout cela acheté pêle-mêle, sans souci des mesures et des utilisations possibles, au hasard de ses courses dans les magasins et de l’avantage des soldes exposés. Tous les ans, dans la semaine de janvier, elle faisait une caisse de tous les sacs de bonbons reçus, de toutes les étrennes encombrantes, et elle les envoyait, en Bourgogne, à la famille nourricière émerveillée, sans doute, de ces richesses frivoles et gourmandes. Bien d’autres eussent donné cela à leurs femmes de chambre, à leurs concierges. Elle, pas ! car c’était une chic mère, disaient avec admiration ses amies.

Thérèse avait d’autant plus de mérite à aimer son enfant et à la gâter de la sorte qu’elle ne la connaissait pas du tout, l’ayant, le jour même de sa naissance, confiée à ces braves paysans qui avaient charge de l’élever. Allez donc, oui, allez donc, au bout de sept ans, retrouver les traits d’un petit visage qu’on n’a jamais vu, d’un petit visage qui n’était alors qu’un paquet informe de chair, sans cheveux, sans yeux, sans sourires, sans rien par où puisse se raccrocher un