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joyeux employé, dans l’administration des Chemins de fer de l’Extra-Centre. Qu’il te suffise de savoir qu’à l’époque où j’illustrai ma vie de l’incroyable aventure que je vais te faire connaître, j’étais chef de gare depuis des années et des années. Chef de gare et marié. Ah ! oui, marié !… Jusqu’à la garde, mon vieux copain. J’entends par là que ma femme m’exaspérait outre mesure par ses tracasseries, ses tyrannies, et cætera, et cætera… Non que j’eusse perdu ma bonne humeur ; mais elle m’exaspérait, na !… Et elle m’exaspérait au point que j’eusse été capable de me livrer à des folies de reconnaissance envers celui qui m’en eût débarrassé, per fas et nefas, si j’ose m’exprimer ainsi… Eh bien ! par un trait de génie, je fus celui-là… tu vas voir comment.

« Rien n’est plus simple… Ma femme qui, depuis quelques jours, était allée chez un sien parent, devait rentrer, le soir du 24 septembre 1890, par le train 18. Or, voici l’argument… La ligne étant à voie unique, le train 18 croise, à la station, le train 437, lequel se gare en arrivant et attend, pour repartir, que le train 18 soit passé. Ce jour-là il y eut, dans le service, je ne sais plus quelle complication, dont je profitai habilement, malgré les protestations du mécanicien, pour faire repartir immédiatement le train 437. Mon calcul était mathématiquement limpide : faire se rencontrer les deux trains et