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Un joyeux Drille !


Figurez-vous un petit tonneau, planté sur de courtes jambes et surmonté, en guise de visage, d’une tomate rougeoyante et dodue, d’une belle tomate à qui une large fente dans le travers de sa pulpe donnerait une constante expression de rire. Tel est l’exact, succinct et symbolique portrait de M. Cléophas Ordinaire. Depuis deux ans qu’il est mon voisin de campagne, il ne m’est pas arrivé une seule fois de surprendre un air d’ennui, d’inquiétude ou de tristesse sur ce visage gras, souriant, et somptueusement coloré de bonheur. C’est peut-être la seule créature humaine qu’il m’ait été donné de rencontrer dont la physionomie sans remords révèle aussi lumineusement une existence exempte de malheurs et de ces accidents qui perpétuent sur le visage des autres hommes, les empreintes de la souffrance et les morsures du souvenir ! Ah ! le brave homme que M. Cléophas Ordinaire et combien il dut être heureux pour que, jamais