Page:Octave Mirbeau Un gentilhomme 1920.djvu/198

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et la tête ne tenait plus au tronc que par un mince ligament.

« Je crus que j’allais devenir fou… Mais il fallait prendre un parti… D’une minute à l’autre l’assassin pouvait venir. Je soulevai le cadavre pour le placer sur le lit. Dans un faux mouvement que je fis, la tête livide se renversa, oscilla pendant quelque temps, hideux pendule, et, détachée du tronc, roula sur le plancher, avec un bruit sourd… À grand peine, je pus introduire le tronc décapité entre les draps, je ramassai la tête que je disposai sur l’oreiller, comme celle d’un homme endormi, et, ayant soufflé la bougie, je me glissai sous le lit. Mais tout cela machinalement, sans obéir à une idée de défense ou de salut. C’était l’instinct qui agissait en moi, et non l’intelligence, et non la réflexion.

« Mes dents claquaient. J’avais aux mains une humidité grasse ; je sentais quelque chose de glissant et de mou se coller à ma chemise, sur ma poitrine ; toute la décomposition de ce mort m’enveloppait de sa puanteur ; un liquide gluant mouillait ma barbe et s’y coagulait… J’eus l’impression d’être couché vivant dans un charnier.

« Je demeurai ainsi, en cette épouvante, combien de minutes, combien d’heures, de mois, d’années, de siècles ? Je n’en sais rien. J’avais perdu la notion du temps, du milieu… Tout était silencieux… Du dehors, le bruit de l’orage et les