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« Lizy ne fut pas grondée, et moi, je fus accueilli, Dieu sait avec quels transports, par la mère qui déjà pleurait la perte de son enfant. On me fêta, on m’embrassa. Jamais, je crois, la reconnaissance ne s’exprima avec plus d’enthousiasme. Qui j’étais, où je demeurais, ce que je faisais, on voulut tout savoir, et c’étaient, à chacune de mes réponses, des exclamations de joie attendrie.

« — Oui, monsieur Fearnell, me dit la mère, vous êtes le sauveur de ma fille ! Comment pourrai-je vous exprimer jamais ma gratitude ! Nous ne sommes pas riches, et, d’ailleurs, ce n’est pas avec l’argent qu’on peut payer un tel service. Non, non… Disposez de nous, mon mari et moi nous sommes à vous à la vie à la mort. »

« J’avoue que ces protestations me gênaient un peu, car mon action était, en somme, toute naturelle, et j’avais conscience de n’avoir accompli là rien d’héroïque. Mais le bonheur d’avoir retrouvé une enfant qu’on a cru perdue excuse, chez une mère, ces exagérations de sentiment ; d’ailleurs l’intérieur de cette maison était si décent, si calme, il dénotait une vie si honnête, si unie, il avait un si pénétrant parfum de bon ménage que, moi-même très ému, je me laissais aller à la douceur de me sentir pour quelque chose dans les joies de ces braves gens. La mère reprit :

« — Comme mon mari sera heureux de vous répéter tout ce que je vous dis, monsieur, et