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je ne sais rien, rien… Je cherche, je cherche…

— Mon Dieu ! je vous parle de cela, parce qu’il vous est échappé des choses, dans votre délire, des choses véritablement bizarres. Savez-vous qu’on vous a trouvé, dans la rue, évanoui, à demi vêtu ?

— Je ne sais rien, je ne trouve rien… Docteur, écoutez-moi… J’ai passé par quelque chose d’effroyable… Quoi ? Ah ! voilà ce qui est affreux, je ne pourrais vous le dire… Mais, à des souvenirs qui me reviennent, j’ai la sensation d’avoir été mort ; oui, docteur, d’avoir été tué… là-bas… dans une chambre… Il y avait un lit, et puis… je ne sais plus, je ne sais plus rien… Ai-je rêvé ? Suis-je le jouet de la fièvre ? C’est bien possible après tout… Pourtant, non… Aidez-moi… je cherche depuis ce matin… Hélas ! mon cerveau est faible encore, ma mémoire ébranlée par la mystérieuse secousse… Ne suis-je pas fou ?… Je me sens mieux, cependant… les bourdonnements ont cessé… on dirait que j’ai, en tous mes membres, un grand bien-être, comme une lassitude de bonheur… Mais ce cadavre, cette enfant blonde, et la tête, qui roula sur le plancher, oui, elle roula… Mon Dieu ! je ne sais plus…

Le docteur m’interrogea. Il me raconta ce que j’avais dit, les mots que j’avais prononcés dans la fièvre. Je l’écoutais avidement. À mesure qu’il parlait, un voile se levait lentement devant