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dans la mort. Je ne me souvenais de rien, j’avais le cerveau vide, les membres brisés, la chair meurtrie, la pensée inerte. J’entendais par moments comme des cloches qui auraient tinté au loin, et puis soudain on eût dit que des vols de bourdons m’emplissaient les oreilles de leurs ronflements sonores.

L’homme souleva ma tête avec des mouvements doux, me fit boire quelques gorgées d’un breuvage que j’avalai avidement.

— Eh bien, monsieur Fearnell, me dit-il, comment vous trouvez-vous ?

— Hein ? Quoi ? m’écriai-je, où suis-je ?

— Vous êtes chez moi, mon bon monsieur Fearnell, répondit l’homme, chez moi… Allons, ajouta-t-il en replaçant ma tête sur l’oreiller, tranquillisez-vous, on vous soigne bien.

Je fixai les yeux, longtemps, sur celui qui me parlait ainsi, et tout à coup je reconnus le docteur Bertram, le célèbre médecin aliéniste de Dublin. Un frisson me secoua le corps. Pourquoi donc me trouvais-je chez le docteur Bertram et non pas dans ma villa de Phœnix-Park, au milieu de mes livres, de mes herbiers, de mes microscopes ? « On vous soigne bien », me disait-il. J’étais donc malade ? Je fis des efforts surhumains pour me rappeler, pour comprendre, pour pénétrer le mystère qui m’avait jeté là, dans une maison de fous, car le docteur Bertram, je m’en souvenais maintenant, dirigeait un hospice