Page:Octave Mirbeau Un gentilhomme 1920.djvu/181

Cette page a été validée par deux contributeurs.

t’as donc pas lu le journal ? Il frappa sur la table un formidable coup de poing. Les autres commis voyageurs parurent très intéressés ; les deux fonctionnaires, ayant terminé leur repas, se retirèrent sans dissimuler leur indignation. Il reprit, en élevant la voix :

— C’est comme ces deux mangeurs de budget, ces fainéants !… Ils ont bien fait de ne rien dire, parce que je leur aurais frictionné l’opportunisme, moi !… Certainement, les opinions sont libres, excepté celles des curés et puis des autres bonapartistes… Mais ce qui n’est pas libre, c’est de trahir !… Quand je pense à cela, ça me fout en rage… À Metz, j’y étais, tu sais bien, à Metz, et partout… Je les ai vus les généraux, les maréchaux, tout le tremblement. Des propres à rien qui ne sortaient pas des cafés ! Ils étaient saouls tout le temps… Et ça se gobergeait avec les Allemands, un tas de sales Bavarois !… Tiens, Canrobert, le vieux Canrobert, veux-tu que je te dise ? Eh bien ! Canrobert, oui, messieurs, Canrobert, on était obligé de le remporter chez lui tous les jours, tellement il était poivrot !… C’est pas une fois que j’ai vu ça. C’est cent, c’est deux cents fois ! Et les femmes avec qui il faisait la noce, c’en était rempli partout, des traînées de Paris, des salopes de Bullier et du Cadet… et laides, non, fallait voir !… Nous crevions de faim, nous ; mais elles, c’est des truffes qu’elles mangeaient…