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petites gens comme nous… n’est-ce pas ?… Du vivant de défunt M. le marquis, le père… c’était bien autre chose… et voici comment cela se passait… Tous les dimanches… un peu avant la fin de la messe… le suisse, un ancien tambour-major de la garde, venait se planter, devant la chapelle… au port d’armes, quasiment… Vous comprenez ?… sa hallebarde sur l’épaule, la main appuyée sur la pomme de sa canne… Lorsque le vieux marquis se levait, pour partir, alors le suisse le précédait de dix mètres, et frappant les dalles de sa canne, écartant la foule, à coups de hallebarde, il criait : « Place… place… pour monsieur le marquis !… » Ensuite, il l’accompagnait jusqu’à sa voiture… Un dimanche… je ne sais pourquoi… le suisse ne vint pas… Le vieux était dans une colère, dans une colère !… Fallait voir ça !… Il ne voulait pas s’en aller… « Où est-il, ce cochon-là ?… », qu’il disait, blême de rage… « qu’on aille me chercher ce maroufle… que je lui tire les oreilles… à cet animal ! » Si bien que monsieur le vicaire, pour faire cesser le scandale, remplaça le suisse, ce dimanche-là… Il prit la tête du cortège, en surplis, et faisant claquer sa claquette, tous les vingt pas, il criait, lui aussi : « Place, place pour monsieur le marquis ! » Les mauvaises langues jasèrent, vous pensez !… Aussi, à la mort de son père, M. le marquis supprima cette