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et c’est effrayant… Mais comment faire autrement ?… Tout se tient en ma vie… Je suis pris dans un engrenage où, le petit doigt une fois engagé, il faut que le corps passe tout entier.

Il poussa un soupir, s’abattit dans un fauteuil et dit :

— J’aurais à refaire mon existence… c’est ici seulement que je la referais… Le reste, Paris… et cætera, au diable ! Enfin, n’y pensons plus…

Il était sûrement sincère à cette minute, comme le sont les ivrognes en leurs effusions déraisonnables et passagères. Il subissait cette crise nerveuse du départ, et il lui était insupportable de songer qu’il lui faudrait reprendre, demain, sa vie lourde, haletante, compliquée, cette vie où, à en juger par les lettres et les papiers du bureau, il n’y avait pas que des plaisirs.

Le soir suivant, comme la voiture qui nous ramenait de la gare pénétrait sous la voûte de l’hôtel de la rue Jean-Goujon, le marquis avait complètement éliminé de son esprit toutes ces mélancoliques poésies, toute cette intoxication sentimentale. L’homme de lutte et d’action qu’il était se retrouva subitement plus ferme, plus fort, plus ardent que jamais, dès qu’il eut posé le pied, sur le terrain de la lutte et de l’action. Je gage que Sonneville, l’ancien Sonneville tapissé de lierre, et maître Houzeau, et les fonds