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aîtres. Je ne songeais qu’à me faire une idée aussi exacte que possible de l’ambiance du pays, des intérêts en lutte, afin de contenter le marquis dans la mission qu’il me confiait. Il eut, lui, de longues conférences avec M. Joseph Lerible, avec M. Joë et l’adjoint Berget, le plus grand ivrogne du département. Le médecin de l’hospice vint le soir, très affairé, à plusieurs reprises. Il se nommait Frédéric Lappmann. C’était un homme jeune, d’origine juive, tout petit, blond, très actif, à très grosse tête, à physionomie ouverte et sympathique. Une partie de son éducation médicale, il l’avait faite en Allemagne. On le disait intelligent, instruit, un peu trop systématique, comme tous les Allemands. Durant ce premier séjour à Sonneville, je n’avais pas eu l’occasion, malgré mon désir, de causer avec lui. Et peut-être le marquis n’eût-il point aimé que des relations s’établissent entre nous… Aux gages et sous la seule autorité de la marquise dont, je l’ai su plus tard, il était un petit parent, obscur et inavoué, cela suffisait pour que ses rapports avec le marquis fussent difficiles et peu cordiaux. Ils l’étaient et même quelque chose de pire. Je ne pus tirer au clair la cause de leurs entrevues répétées, j’entendis seulement qu’elles furent très violentes. En parlant de Frédéric Lappmann, le marquis ne l’appelait jamais autrement que le docteur Youpmann, manifestant ainsi de la haine contre les