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leur portes. Les maisons publiques, seules, lui restèrent. Malheureusement, malgré leur bonne volonté, elles ne purent suffire à son existence et à son industrie.

Après avoir subi une éclipse de quelques années, et pratiqué sans doute d’obscures et curieuses besognes dont l’Histoire ne nous a pas conservé la mention, Alcide Tourneroche, un jour, vint à Caen où il se rendit acquéreur, dans la rue Saint-Jean, d’un petit magasin de papeterie et d’articles de bureau. Il y adjoignit la vente de photographies d’hommes célèbres, exclusivement choisis parmi les personnalités révolutionnaires, d’actrices décolletées, et de brochures subversives. On dit même que, fidèle à sa destinée, il écoulait dans son arrière-boutique des photographies, plus montées de ton et, sans doute, le solde de ses albums clandestins. En dépit de ce ragoût, ses affaires végétèrent. Il ne paraissait pas, d’ailleurs, s’y intéresser beaucoup, et nourrissait d’autres préoccupations. En peu de temps, par sa méchanceté aiguisée de verve cynique, d’une gaîté ordurière de camelot, par tous les potins sinistres qui s’envolaient de l’arrière-boutique pour s’abattre sur les prêtres, les bourgeois riches de la cité, les nobles de la région, tout ce qui, dans un pays réactionnaire comme le Calvados, jouissait d’une considération factice, il devint un objet de crainte, dans son quartier d’abord, dans la