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et d’indifférence religieuse. Le directeur du Cultivateur normand s’appelait Alcide Tourneroche. C’était un petit bonhomme de soixante ans, malingre, difforme, infirme, dont la jambe gauche ankylosée se complétait d’une béquille. Des cheveux crépus, très épais, très bouffants et tout gris, une barbe grise, finissant en fourche pointue et relevée, une peau grise et ridée, et, dans tout ce gris, deux petits yeux, ou plutôt deux petits points noirs, très vifs, très mobiles, exprimant une effronterie audacieuse, et un rare cynisme, tel était Alcide Tourneroche. On ne le voyait jamais autrement vêtu que d’une longue blouse noire de typographe ; blouse sale, graisseuse, déchirée, chez lui, dans la rue, blouse de lustrine brillante, et, sur la tête, un large chapeau mou, de feutre noir, tout bossué… Il s’aidait, pour marcher, d’un bâton à pomme plombée et à pointe de fer… N’ayant plus que deux dents jaunâtres sur le devant de la bouche, il bredouillait et vous envoyait de la salive en parlant… Personne ne savait exactement d’où il venait, et ce qu’on connaissait de son passé n’était pas des plus édifiants.

Il avait été photographe établi dans un bas quartier de Paris, puis, n’ayant point réussi, photographe ambulant. Il parcourait la France avec son appareil, limitant son exploitation aux établissements religieux. Aux évêchés, où il s’était facilement introduit grâce à on ne savait