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cision la physionomie morale si curieuse du marquis. Si j’y ai déjà tant insisté, c’est que je me trouvais en présence de quelqu’un de très nouveau pour moi, et qu’il y allait aussi de mon avenir et de mon bonheur. Je pense d’ailleurs que le récit de ces menus faits n’aura pas été complètement inutile et que, grâce à eux, le lecteur sera préparé à mieux comprendre la nature complexe d’un homme dont je vais avoir à raconter la vie mouvementée, laquelle, est-ce trop d’ambition ? me paraît avoir un véritable intérêt historique. J’aurais bien voulu terminer là tous ces préambules, et entrer immédiatement dans l’action. Pourtant, je ne puis passer sous silence un voyage que nous fîmes à Caen, trois jours avant notre départ pour Paris. Il apporte à cette étude un document de premier ordre que je ne saurais négliger.

Le marquis depuis seulement une année possédait à Caen un journal, le Cultivateur normand. Bien qu’il y suivît une politique nettement royaliste, il y ménageait tous les partis conservateurs, surtout les bonapartistes, en majorité dans le département. Mais la politique générale n’y apparaissait qu’au second plan : c’était surtout une feuille qui défendait les intérêts régionaux, et, par intérêts régionaux, elle entendait une lutte de violence, de calomnie, d’injures contre les personnalités, contre la vie privée des personnes suspectes de tendances républicaines