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ce qui prouvait clairement le peu de place, ou plutôt le pas de place que je tenais dans ses occupations… Et c’est cela qui m’ennuyait le plus… Nous passâmes quelquefois des soirées mornes, sans une seule parole échangée. D’autres fois, très gai, parlant de tout, en camarade, avec abondance et drôlerie, et les actualités politiques épuisées, il abordait l’art, la littérature, les femmes, les choses pratiques de la vie. Hormis ces deux questions où il était fort informé, où il montrait une philosophie personnelle curieuse, souvent effarant et féroce, je le jugeais très ignorant, sans aucune lecture, sans aucune culture, avec un mépris foncier pour toutes les spéculations d’ordre intellectuel. En réalité il était pauvre d’idées et de sensations : il répétait les opinions courantes, moyennes, très sages, des milieux bourgeois… mais il y donnait un tour piquant qui, pour le vulgaire et dans son monde, lui valait de l’autorité, une réputation de hardiesse et de goût éclairé…

Il disait entre autres :

— J’aime Detaille parce qu’il exalte le sentiment patriotique, et Bouguereau pour ses belles fesses…

Je n’en finirais pas si je voulais noter ici les traits de caractère et les mille petits incidents familiers où, durant mon séjour à Sonneville, se révéla peu à peu, s’éclaircit avec plus de pré-