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esprit de ruse, et aussi par la crainte qu’ils inspiraient, étaient fort judicieusement choisis. Ceux-là — aubergistes, cafetiers, gros cultivateurs, géomètres, agents d’assurances, experts, facteurs, instituteurs retraités — il les comblait de ses prévenances et de ses faveurs. Aussi se montraient-ils très ardents, très fidèles. Être l’agent du marquis, cela équivalait à une place recherchée de fonctionnaire qui rapportait de la considération et de l’argent. Chose rare, il avait accordé à l’un d’eux, chasseur passionné, le droit de chasse sur une partie de bois éloignée du château. Mais, auparavant, il avait eu soin de faire fureter par ses gardes tous les lapins, et de les transporter à l’autre bout du domaine. Avec un sens politique très averti, il écartait de ces choix, il écartait de lui-même l’élément bourgeois, sauf en deux ou trois petites villes où il dominait exceptionnellement. Il disait :

— Les bourgeois… je m’en fous… Je préfère les avoir contre moi… c’est un repoussoir !

Quoiqu’il demeurât en bons termes avec les hobereaux de la contrée, très jaloux de son amitié, qu’il les reçût au château et deux fois l’an, les invitât à ses chasses, il ne tenait pas à s’afficher publiquement avec eux, d’abord parce qu’ils l’ennuyaient, et puis aussi dans la crainte d’avoir à subir