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dos assombri de la plaine les verts des blés se décoloraient, mouraient l’un après l’autre, comme se décolorent et meurent, une à une, les plumes brillantes sur les ailes étendues d’un grand oiseau blessé à mort et qui va mourir… Jusqu’à l’hospice où il s’arrêta, le marquis ne prononça plus une parole.

Nous dînâmes, tous les deux seuls, dans cette salle immense aux murs couverts de tapisseries somptueuses, aux lustres emmaillotés de gaze jaune, aux dressoirs bas chargés de faïences précieuses et de très vieilles argenteries. Nous y étions tout petits, comme perdus, et aussi silencieux que dans la campagne sous l’averse. Après le dîner, le marquis déclara qu’il avait à travailler seul. Il avait reçu des dépêches, des lettres, et semblait soucieux. Il s’installa dans le fumoir oriental, devant une table, entre une boîte de cigares et un flacon de fine champagne, et il me laissa libre de moi-même. Je profitai de ce répit, jusque fort avant dans la nuit, pour terminer le rangement du bureau. Je n’y avais plus autant de curiosité… D’ailleurs, tous ces papiers, toutes ces lettres redisaient les mêmes histoires, exhalaient les mêmes odeurs que le matin… Ils ne m’apprirent rien de nouveau…

Nous restâmes à Sonneville quinze jours — quinze jours très fatigants, du moins pour moi — qui furent employés en tournées dans