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religion n’est pas une morale… c’est de la politique…

Et brusquement, avec une vraie admiration pour Flamant, et aussi avec un véritable orgueil de l’acte hardi qu’il venait d’accomplir :

— Sacré Flamant !… jura-t-il… c’est tout de même quelqu’un.

Le soir tombait. Le ciel se couvrait de gros nuages dont les pâles roseurs du couchant accentuaient la lourdeur plombée. L’obscurité se glissait entre les arbres, bouchait peu à peu les éclaircies de ses voiles épais… Un vent froid soufflait de l’ouest, qui nous glaçait la figure. Nous avions quitté la forêt, pour rentrer, au plus court, par Sonneville-les-Biefs. Des gouttes d’eau annonçaient l’approche de l’averse. Le marquis accéléra l’allure du cheval.

À deux kilomètres du pays, nous rencontrâmes sur la route un petit convoi de deux pauvres voitures, chargées de meubles et de paquets. Un homme marchait devant, une femme venait derrière, que suivaient quatre petits enfants, péniblement. Tous ils paraissaient très las, très tristes, accablés. J’observai que l’homme portait un vieux képi de garde, et, sur l’épaule, un fusil. Était-ce Rousseau ?… C’était sûrement Rousseau… Où allait-il, sans gîte, sans argent, sans pain peut-être, sous la pluie, avec toute sa petite maison errante, chassé par un futile caprice du maître ? Qu’allait-il devenir ici,