Page:Octave Mirbeau Un gentilhomme 1920.djvu/140

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entrée dans la cour je la cherchais des yeux, partout, avec une curiosité pas très pure je l’avoue. Son vice me hantait, et, par son vice, je rêvais d’une bête de luxure forcenée, d’une créature de crime. Elle m’apparaissait étrangement harmonieuse au mystère sauvage, au mystère incestueux de la forêt… Pas du tout… C’était une grande et forte fille de vingt ans, bâtie en force mais déjà vieillie par la misère, déjà déformée par les rudes travaux et les maternités trop précoces. Sa tête semblait plier sous le poids d’une chevelure rousse trop lourde, magnifique, et qui, dans le vert ambiant, flambait comme une boule de feu. Rien de farouche, de révolté, d’impudique, rien de triste même dans ses yeux d’un bleu pâle de pervenche, et dans toute sa physionomie qui, au contraire, témoignait d’une sorte de candeur tranquille, d’une sérénité si calme qu’elle en devenait presque de l’hébétude, mais de l’hébétude souriante, douce, limpide comme ses yeux. Malgré l’épaisseur carrée de la taille, le flottement de la poitrine sous la camisole, l’avancée disgracieuse, sous la jupe, d’un ventre bombant, ses reins avaient une élasticité puissante qui la faisait en quelque sorte rebondir, à chaque pas, sur le sol. Ses manches retroussées laissaient voir des bras ronds, flexibles, très lisses, très blancs, jusqu’au-dessus des poignets où le hâle avait mis comme de longs gants de peau