Page:Octave Mirbeau Un gentilhomme 1920.djvu/14

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au buffet de Mantes. L’hôtelière n’avait point quitté la salle et semblait me surveiller… Sur une question que je lui adressai, elle me dit vivement, avec un air de me féliciter :

— Ah ! vous allez au château ?

— Mais oui…

— Au château de Sonneville ?

— Bien sûr !

Jusque-là, elle ne m’avait prodigué aucune prévenance. À peine m’honorait-elle, de temps à autre, d’une attention rapide, plutôt dédaigneuse, que justifiaient mon aspect chétif et mon pauvre équipage. J’observai alors qu’elle me regarda avec plus de bienveillance et, même, avec presque de l’admiration, au point qu’elle crut devoir rajouter une grappe de raisins secs et une poignée d’amandes à l’assiette de dessert qu’elle avait préparée pour moi, sur un coin de la grande table. Une personne assez comique, vraiment : trop blonde et tavelée, grosse et courte de charpente, ni jeune, ni vieille, ni homme ni femme ; un buste carré, très épais, sur des hanches désunies, des yeux très pâles, assez doux, des yeux stupides, un nez sans lignes, qui ne laissait voir que le triangle noir des narines… Elle reprit :

— Ah ! vous allez au château ?… tiens… tiens… tiens !

— Est-ce loin du village ? demandai-je, voulant éviter des questions indiscrètes, dont je