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eau-forte légère et bleuâtre… Un jardin potager, étroit et long, défendu contre les incursions des lapins par un haut grillage, attenait au pignon de gauche. À gauche, encore, un hangar rempli de bois fendu, une étable et un poulailler… À droite, un puits, et près du puits un noyer sous lequel stationnait le cabriolet de M. Joseph Lerible, dont le cheval débridé humait l’herbe de la cour en soufflant des naseaux bruyamment. Deux petits enfants aux pas encore incertains jouaient parmi des meubles, des caisses, de pauvres objets de ménage, déchargés, pêle-mêle, près de la porte, devant la maison. Des poules s’enfuirent à notre approche, et deux chiens couplés, attachés par une longue corde à un anneau scellé dans le mur, se mirent à aboyer. M. Joseph Lerible, suivi de Victor Flamant, sortit de la maison…

Je regardai ce dernier passionnément. Vêtu d’une blouse et d’un pantalon d’un brun lavé, et sous la blouse d’un tricot de laine fauve, coiffé d’une casquette dont la peau de lapin usée lui moulait le crâne, une cravate lâche, en corde, autour du cou, il était de taille moyenne, sec, osseux, couleur d’écorce et de sous-bois. Les yeux me frappèrent tout d’abord, des yeux très clairs, d’un gris très dur, mais fixes et ronds, sans aucun rayonnement, et pareils aux yeux des oiseaux que blesse la lumière du jour et qui n’exercent leur puissance de vision que la nuit.