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mourir un client plutôt que de manquer la messe le matin. Chaque jour, sur les routes et dans les traverses, on le rencontrait conduisant sa vieille jument blanche, ou plutôt conduit par elle… Les guides flottantes, et quelquefois traînant sur la route, il lisait sans cesse, rencogné au fond de son antique cabriolet, des journaux et des revues, non des revues de médecine, comme on eût pu croire, mais de piété : le Pèlerin, le Rosier de Marie, etc. Souvent, au bas des côtes, la jument s’arrêtait, se mettait à brouter l’herbe des berges, et le docteur, ne s’apercevant de rien, demeurait là des quarts d’heure absorbé dans sa lecture… Puis brusquement, d’elle-même, elle recommençait de trottiner et de secouer maître et voiture sur les cahots du chemin…

Quand nous arrivâmes à Monteville-sur-Ornette, le docteur Lerond se disposait à partir en tournée de malades… Il portait une large houppelande verdâtre, une casquette en peau de renard, des sabots garnis de paille. C’était un homme très grand, très maigre, voûté, quoique jeune encore, le visage effacé, la peau cendreuse, tachée, aux joues, de poils rares d’un blond terne et pauvre. Ses yeux doux, tristes, résignés, aux paupières tuméfiées et rougies, pleuraient sans cesse… Il avait l’apparence, presque l’odeur d’un cancéreux… Avec empressement il nous reçut dans son