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Donc, le 1er mars de l’année 1877, par un vilain temps aigre et brumeux, je débarquai, le soir, à huit heures, sur le quai de la petite gare de Sonneville-les-Biefs. Nous avions près de trois heures de retard ; il nous avait fallu attendre, en divers embranchements, des correspondances qui n’arrivent jamais. La lenteur exaspérante du train, les longs arrêts aux stations, cette journée grise et maussade, passée dans un compartiment de troisième classe, entre un artilleur à moitié ivre qui regagnait sa caserne, et un ouvrier peintre qui ne cessa de chanter Le Trouvère, les mille préoccupations que me causait l’existence nouvelle et inconnue où j’allais entrer, tout cela me mettait dans une mauvaise disposition d’esprit et de nerfs. J’étais exténué de fatigue ; j’avais faim. Ne voulant pas me présenter, à une heure aussi avancée de la soirée, au marquis d’Amblezy-Sérac que, par discrétion et timidité, je n’avais pas prévenu de mon arrivée chez lui, je me fis conduire à l’auberge du village — Les Trois Couronnes, je vous demande un peu,  — tenue par Hippolyte, François Berget, successeur. Ainsi l’annonçait pompeusement une enseigne, plaque de tôle, dévernie et rouillée, qui, au-dessus de la porte charretière, grinçait au vent comme une girouette. Je décidai que je souperais et coucherais là, vaille que vaille. Le lendemain, plus dispos, je me rendrais au château de Sonne-