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nation de ce regard qui sait tout et qui voit tout ? »

Cette pensée, que je tournai et retournai dans tous les sens, m’angoissa au point que je me demandai si, vraiment, je ne ferais pas mieux de partir.

Je m’étais déshabillé et me promenais en chemise dans la chambre. Les dernières bouffées du calorifère y rendaient l’atmosphère tiède et douce. Les rideaux de cretonne fermaient, de l’entrelacs de leurs fleurs, l’embrasure des fenêtres. Une lampe, sous un abat-jour rouge, veillait sur une table à la droite de mon lit, au-dessus duquel un crucifix étendait drôlement ses deux bras de faux ivoire. À la gauche, un prie-Dieu, que je n’avais pas jusqu’ici remarqué, un prie-Dieu de pitchpin, prétentieusement façonné en ogive et surmonté d’une croix ! — encore !  — attendait vainement mes génuflexions et mes prières. Deux désolantes potiches, en faïence de Gien, une grosse pelote à épingles en velours grenat brodé d’attributs mystiques et représentant le Sacré-Cœur de Jésus, quantité de menus et affreux objets, presque tous d’inspiration religieuse, achetés à des ventes de charité, éparpillaient sur la cheminée et sur les meubles un peu de l’âme vulgaire, économe et dévote de la marquise, de cette marquise au ventre malade, à la figure sévère que, sans la connaître, je détestai, à cette minute, farouche-