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personnalité du marquis aux incidents menus, en somme, mais pour moi si considérables de la journée, je demeurai perplexe… Quel homme était réellement ce marquis d’Amblezy-Sérac ? Je n’en savais rien, et je m’inquiétais, je m’effrayais de ne pas le savoir, de ne pouvoir pas le savoir… Certains gestes, certains tics, certaines expressions m’avaient bien livré un peu de sa personne superficielle… Mais l’âme… l’âme secrète et vraie… l’âme cachée au fond de cette blague pittoresque et ostentatoire, sous ces sentiments affectés et nullement sincères, peut-être ?… Je l’ignorais, et je m’irritais de rester sans une réponse plausible, tout bête, devant ce point d’interrogation… D’habitude, j’avais vite fait le tour des gens chez qui j’arrivais encore plus à l’improviste… encore moins informé qu’ici… Ici, je n’avais fait le tour de rien… Il est vrai que le marquis était autre que ces fantômes d’humanité, qui se ressemblaient tous, d’ailleurs… Il y avait en lui une vie puissante… un torrent de vie puissante, et qui voulait de tout, de la spontanéité et du calcul, du scepticisme glacé et de la passion impétueuse, de la ruse enveloppante et de la décision rapide, hardie, implacable, tant de surprises, de heurts et de contradictions que ce n’est pas en quelques minutes, en quelques jours même, que je pouvais débrouiller tout cela… À coup sûr, c’était un homme, et dans toute la force de ce mot