que ce sont des braves gens ! Et je n’en dirais rien, si sa veuve n’était venue me voir. Je ne la connaissais pas. C’était une petite bonne femme, sèche et pointue, avec des bandeaux gris, et une bouche si mince que, lorsqu’elle la fermait, on ne pouvait distinguer à première vue le trait des lèvres.
— Ah ! monsieur, me dit-elle, c’est un grand malheur pour moi, je vous assure !
Sa voix sans timbre m’étonna.
— Quand on a vécu si longtemps ensemble, continua-t-elle… une séparation si brusque… on a de la peine à s’y faire !
— Je vous crois, madame, et je vous plains infiniment.
Je la priai de s’asseoir. Elle ouvrit son châle, et j’aperçus un gros paquet, entouré de papier prune, qu’elle portait sous son bras.
— C’est un manuscrit fit-elle en le posant sur ses genoux.
Elle ne vit pas, sans doute, l’expression de terreur qui se peignit sur mon visage, à ce seul nom de manuscrit, car elle poursuivit :
— Je l’ai trouvé dans un tiroir, ce matin. Lui aussi, monsieur, il écrivait ! Il écrivait ses mémoires ! J’aurais pensé à tout de sa part, excepté à cela. Il n’avait pas l’air de quelqu’un qui écrit des livres, bien sûr ! Car, enfin, vous qui le connaissiez beaucoup, qui étiez son meilleur ami, vous devez savoir qu’il n’était pas fort, le pauvre homme !
Je m’inclinai avec un geste vague.
— Ah ! ce qu’il en a commis des bêtises, dans sa vie, non par méchanceté — il n’était pas méchant pour deux sous, — mais parce qu’il n’avait pas de jugement, pas d’intelligence ! C’était… enfin… quoi, c’était rien du tout !
Et elle soupira :
— Ah ! je n’ai pas toujours été heureuse avec lui.
Je craignis des confidences que je n’étais pas en humeur d’écouter. Et je ramenai à son point de départ la conversation qui menaçait de s’égarer dans les maquis du sentiment.
— Enfin, demandai-je, que voulez-vous de moi ? Et pourquoi m’apporter ce manuscrit ?
— Je voudrais, répondit-elle, que vous le lisiez. Mon