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à lui bourrer le dos de coups de poing. À partir de ce moment, l’animation s’accentua et, bientôt, l’enterrement dégénéra en kermesse. Les trognes des hommes s’enluminaient de rouges violents ; les yeux des femmes s’emplissaient de lueurs troubles. Et les coq-à-l’âne, les jeux de mots, les histoires épicées de partir, se croiser, rebondir d’un bout de la table à l’autre bout. Et, sous la table, Dieu sait ce qui se passait ! Une grosse cousine appuyait, avec une persistance de plus en plus frénétique, son pied sur le mien… Des couples disparaissaient, revenaient…

— On n’enterre pas tous les jours une femme pareille… tonitruait l’oncle colossal… une femme pareille !

Et dodelinant de la tête, la langue déjà épaisse, Hoockenbeck bégayait :

— Elle était si brave !… si bra… a… ve !…

Malgré les vins, malgré les sauces, malgré les parfums évaporés des peaux moites, l’odeur des fleurs fanées, et l’autre, s’acharnaient. Mais la gaîté d’aucun n’en paraissait retenue.

Quand je voulus rentrer, Hoockenbeck s’excusa, – il me sembla que c’était à regret, – de ne pas me reconduire. Mais son beau-frère, un capitaine revenu du Congo (il n’était malheureusement pas en uniforme), prétendit que l’air lui ferait du bien… Aidé d’un jeune ménage de Liège, il triompha aisément des scrupules du veuf qui, généralement rubicond et couperosé, était devenu violet, à force de congestion.

Nous partîmes à cinq.

Que faire à Bruxelles, vers dix heures de la nuit, sinon la tournée traditionnelle dans les cafés ? De brasseries en brasseries, de cafés en cafés, notre bande grossissait d’amis rencontrés… On s’attendrissait :

— Ah ! mon pauvre vieux !